En préambule à ce post, je tiens à rappeler une chose que beaucoup semblent oublier, ignorer peut-être.
Bien que l’apparition, en France, de groupes d’économistes tels celui des atterrés soit salutaire, il est certains économistes qui depuis bien longtemps ont exprimé médiatiquement et sans ambiguïté leur désapprobation des politiques d’austérité où que ce soit dans le monde.
Notamment, Brad Delong via son blog et surtout Paul Krugman avec son blog et ses tribunes bihebdomadaires dans le New York Times ont depuis bien plus longtemps utilisé la couverture médiatique qui s’offrait à eux pour dire tout le mal qu’ils en pensaient.
Alors oui, je sais bien que les économistes membres de ces groupes vont réagir en indiquant que eux aussi, cela fait bien longtemps qu’ils le disent et le pensent. Je n’en doute absolument pas, je fais référence à l’exposition médiatique.
Aussi, peut-être serait-il sain, voire honnête parfois, au sujet de l’austérité, de le rappeler, de faire référence à eux dans le débat français plutôt que de faire comme si ces groupes formés récemment développaient des arguments que l’on ne trouve nulle part ailleurs dans les médias. Passons maintenant à l’objet même de ce post.
Ainsi, comme Krugman le dit déjà depuis fort longtemps, l’austérité est non seulement une erreur car elle empêche de relancer la croissance mais c’est également une erreur car elle engendre une contraction de l’économie notamment au plan fiscal.
Pour ce qui est du premier point. Les tenants de l’austérité essaient de faire croire que c’est là le lieu idéologique du débat. Ces derniers seraient pour un rétablissement des comptes publics, nécessaire selon eux afin d’amorcer une croissance sur une base saine. Les premiers seraient quant à eux pour relancer tout de suite, indiquant qu’il sera nettement plus facile et surtout moins douloureux socialement de réduire l’endettement une fois l’économie relancée. Les austères affirment donc que l’on peut attendre un peu avant de créer de la croissance, que ce serait plus sage car entretemps nous aurions assaini nos finances car cela encouragerait les investisseurs à réinvestir et donc à créer de la croissance. Et l’on voit que cela fonctionne, c’est une idée largement répandue dans les médias ou chez madame et monsieur tout le monde. L’idée que les pro-relance seraient peut-être trop impatients, l’idée aussi qu’il faut bien diminuer les dettes, tout le monde ayant à l’esprit l’image du ménage endetté étouffé par ses remboursements (je reviendrai dans un autre post sur ce point, mais il y a deux bonnes raisons qui font que non, un Etat n’est pas comme un ménage). Ainsi, les pro-austérité veulent que l’on accepte qu’ils font les choix difficiles car socialement destructeurs mais que, plus tard, on leur saura gré de l’avoir fait, d’avoir eu ce courage, la postérité.
On en reste à l’impression que c’est une querelle de chapelle sans que l’on puisse réellement arbitrer dans un sens ou dans l’autre.
Mais c’est sans compter sur le second point. Déjà, il suffit de regarder ce qu’il se passe en Grèce pour comprendre. Le PIB ne cesse de baisser et il est plus que vraisemblable que malgré les efforts nouveaux de l’Etat grec pour améliorer la perception de l’impôt, le montant total qu’il rapporte ait diminué. Autrement dit, loin de s’améliorer la situation se dégrade.
Mais puisque cela ne suffit pas à convaincre, Brad Delong et Larry Summers développent un modèle afin de démontrer que oui l’austérité peut être mauvaise sur le plan fiscal (i.e rapporter moins d’impôts) et donc être mauvaise pour les finances publiques. Et surtout, ils montrent qu’une relance peut s’avérer, malgré l’endettement initial, bénéfique pour l’économie car nous sommes dans une trappe à liquidité (i.e (en gros) des taux d’intérêts inférieurs ou égaux à zéro, ainsi la banque centrale faisant face à cela ne peut plus baisser son taux d’intérêt pour relancer l’économie car les placements ne rapportent déjà plus rien, car il y a un peu d’inflation).
Si l’on récapitule:
(i) les pro-relance veulent une hausse des dépenses de l’Etat, notamment par le biais de baisses d’impôts.
(ii) Les pro-stérité souhaitent eux une baisse des dépenses de l’Etat afin d’assainir les finances publiques
Ils se critiquent l’un l’autre:
(i) Les pro-stérité disent que tout accroissement des dépenses de l’Etat est suicidaire compte tenu du niveau déjà excessif de dette dans les économies développées
(ii) Les pro-relance signalent quant à eux que l’austérité entraîne nécessairement une contraction de l’économie, très dommageable.
Mais les pro-relance ont d’autres cordes à leur arc, dans un cadre d’analyse unifié qui permet à la fois d’envisager une relance ou de l’austérité:
En situation de trappe à liquidité, la relance s’avère avoir des effets bénéfiques sur le long terme également en matière d’endettement. Ainsi, une politique fiscale expansionniste permettrait à la fois une meilleure croissance à court terme et un plus faible endettement de l’Etat à long terme (ces deux éléments étant bien entendu liés). Ce résultat étant notamment dû au fait que les taux d’intérêt auxquels un Etat peut emprunter dans ce genre de situation sont très faibles, ou plus exactement que la marge dont dispose le gouvernement en matière de différentiel d’intérêt est énorme. Ainsi Delong et Summers montrent que pour les USA, ceux-ci auraient intérêt à pratiquer une politique de relance dès lors qu’ils peuvent emprunter à moins de 25% (la marge est donc énorme). Ensuite, ils montrent que même si l’on renie tous les effets multiplicatifs de la dépense publique et que l’on prend des hypothèses plus que négatives à tout point de vue, cela laisse tout de même une marge, certes bien plus faible, puisque le seuil serait légèrement supérieur à 3% (sachant qu’actuellement les USA peuvent emprunter à 1% ou moins selon le terme de l’emprunt).
Le cadre d’analyse étant unifié, cela implique que si ces conditions ne sont pas remplies, alors il faudrait se tourner vers une politique plus ou moins austère.
Ce dernier point fait par Delong et Summers concerne les USA qui sont dans une situation différente de l’Europe, bien que cela ne veuille pas non plus dire qu’il n’est pas vrai pour l’UE. Simplement qu’il faudrait refaire les calculs en fonction, notamment, des niveaux de taux d’intérêt auxquels font face les différentes économies européennes.
Il n’en reste pas moins que face à l’obstination des pro-stérité qui ne veulent pas accepter l’évidence malgré l’empilement hallucinant d’exemples concrets de politiques d’austérité menant au désastre social tout en ne permettant ni un réel assainissement des finances ni un retour rapide de la croissance, les pro-relance développent donc des arguments théoriques en calibrant leur modèle sur les données réelles. Attendons, désormais, que les pro-stérité en fassent autant ou admettent enfin qu’ils ont tort.
Au-delà de choix idéologiques liés à la justice sociale, de plus en plus d’éléments économiques s’entassent et montrent qu’une relance est plus que nécessaire. En se braquant ainsi, les chantres de l’austérité n’arriveront qu’à chose : rentrer dans la postérité pour avoir fait perdre des années de croissance aux pays développés.